Statut et conservation de Prolemur simus dans les sites de Ranomainty et Sakalava du Corridor Ankeniheny-Zahamena
By: Lucien Randrianarimanana1,2, Maholy
Ravaloharimanitra1, Tianasoa Ratolojanahary3, Jean
Rafalimandimby3, Tovonanahary Rasolofoharivelo2,4, Jonah
Ratsimbazafy2, Rainer Dolch3, Tony King1
Published in: Lemur News Vol. 16 (2012), pp. 2-7.
1The Aspinall Foundation, BP 7170 Andravoahangy,
2Groupe
d’Etude et de Recherche sur les Primates de Madagascar (GERP), Lot 34 Cité des
Professeurs Fort Duchesne, Ankatso, Antananarivo 101, Madagascar
3Association Mitsinjo,
4Conservation International
Résumé
Notre étude a été réalisée de septembre à décembre 2010 et de mars à avril
2011, dans deux sites à l’ouest du Corridor Ankeniheny-Zahamena (CAZ), précisément
Sakalava et Ranomainty. Cette mission consistait à collecter des informations
concernant Prolemur simus et les
facteurs menaçant les sites. Nous avons ainsi recensé quatre groupes dans les
deux sites, comprenant 35 adultes et juvéniles confondus et dix nouveaux-nés. Nous
avons répertorié quatre espèces de plantes consommées par Prolemur, dont deux espèces de bambous, mais le régime alimentaire était
dominé par le bambou géant Cathariostachys
madagascariensis. L’accès humain dans ces sites constitue une menace
significative pour l’espèce, la population locale allant en forêt pour
compenser la non disponibilité en nourriture en période de soudure, et en terre
et intrants durant la période culturale. La forêt couvre alors les besoins en
nourriture par la cueillette, les pièges et la chasse, menaçant ainsi les
espèces faunistiques et parfois floristiques. De plus, la population coupe et
brûle les arbres, réduisant ainsi considérablement la surface forestière et,
par la même occasion, l’espace de vie de Prolemur
simus. L’expansion des rizières et l’exploitation illicite de l’or au cœur
de la forêt sont aussi des facteurs menaçant la survie de Prolemur simus dans ces deux sites. Notre étude montre qu’ils abritent une proportion assez importante
de la population totale connue de Prolemur
simus, et qu’ils doivent donc être considérés comme sites prioritaires pour
la conservation de l’espèce. Des programmes régionaux de conservation, bien
conçus et impliquant les communautés locales, pourraient assurer la survie des
habitats et des lémuriens de ces deux sites, et contribuer ainsi à la survie de
l’espèce Prolemur simus à l’état
sauvage.
Introduction
Le Grand Hapalémur ou Prolemur simus, de la famille Lemuridae, est le plus
grand des lémuriens mangeurs de bambou, pesant environ 2,2 à 2,5 kg
(Mittermeier et al., 2010). Espèce à
alimentation presque monotypique constituée de bambous (Tan, 1999; Wright et al., 2008), il vit en groupes pouvant
atteindre une vingtaine d’individus, dans quelques portions de la forêt humide
restante de Madagascar et dans les habitats secondaires de basse altitude à
l’est de celle-ci (Wright et al., 2008;
Ravaloharimanitra et al., 2011). Unique
en son genre et répertoriée parmi les primates gravement menacés (UICN, 2010), l’espèce
doit faire face à la destruction de son habitat (culture sur brûlis,
exploitation forestière et minière, coupe des bambous) et à la chasse
(Mittermeier et al., 2010). En effet,
la dernière estimation de la population en milieu naturel était inférieure à 200 individus (Wright et al., 2009) et son habitat, autrefois répandu dans presque toute
l’île, est maintenant très restreint (Godfrey et al., 2004; Irwin et al.,
2005; Wright et al., 2008, 2009).
Suite à la découverte de Prolemur
simus à Torotorofotsy dans la Commune Rurale d’Andasibe (Dolch et al., 2004, 2008), des études
effectuées de 2009 à 2010 dans la partie ouest du Corridor forestier
Ankeniheny-Zahamena (CAZ) ont permis d’identifier plusieurs nouveaux sites, dans
les Communes Rurales de Morarano Gare, Fierenana et Didy, avec observation
directe de l’espèce à deux de ces sites (Ravaloharimanitra et al., 2011). Dans le cadre du Projet « Sauver Prolemur simus » de The Aspinall
Foundation (TAF 2008, 2009; King et Chamberlan, 2010), des patrouilles locales
ont été mises en place au niveau de ces nouveaux sites a partir de novembre
2009, pour assurer le suivi et la collecte des données de base sur les groupes
découverts (TAF 2010; Ravaloharimanitra et
al., 2011). Ces données concernent le nombre de groupes et d’individus, les
habitudes alimentaires, les lieux de fréquentation, les lémuriens sympatriques
et les différentes sortes de menaces, telles la chasse, les pièges ou les feux.
La présente étude a été menée de mi-septembre à mi-décembre 2010 et de mars
à avril 2011, au niveau des deux sites, situés dans la partie ouest du CAZ, et où
Ravaloharimanitra et al. (2011) avaient
pu faire des observations directes. Le but était de mettre à jour les données
démographiques et écologiques sur l’espèce, et d’identifier les défis réels à
relever pour pouvoir assurer la survie de ces groupes dans ces deux sites
(Figs. 1, 2).
Méthodes
Sites d’étude
Le site de Ranomainty (S18,3622° E48,4651°) a été antérieurement appelé « Lovasoa »
par Ravaloharimanitra et al. (2011)
car il était supposé se trouver dans la forêt du transfert de gestion du COBA
du même nom, basé dans un village appartenant à la Commune de Fierenana. Le
doute qui planait autour de la localisation administrative du site a
complètement disparu dès la disponibilité des données sur les limites du COBA.
Ainsi, l’on a pu déterminer que le site se trouve à environ 5 km au nord du
COBA Lovasoa. En réalité, ce site appartient administrativement à la Commune de
Didy, District Ambatondrazaka. Le village le plus proche est Ranomainty
(environ 5 km à l’ouest). Le type d’habitat est une forêt primaire encore
dense. L’altitude varie entre 1.002 m et 1.474 m. Ce site se trouve entre les
deux chaînons d’Ampahana et Tsiafakantitra, et désormais nous l’appelons « Ranomainty ».
A Sakalava (S18,7205° E48,4066°), Ravaloharimanitra et al. (2011) ont constaté que les groupes de Prolemur simus se trouvaient dans la forêt gérée par le COBA
Mamelontsoa du Fokontany de Sakalava, et ont donc appelé le site « Mamelontsoa ».
Cependant, les limites du transfert de gestion de ce COBA n’étant pas encore très
claires, nous appelons le site « Sakalava ». Ce site est localisé dans
les limites de l’Aire Protégée Temporaire du CAZ, dans la Commune rurale de
Morarano Gare, District de Moramanga. L’habitat est constitué de forêt primaire
encore dense. L’altitude varie entre 1.068 m et 1.160 m. Le relief est
caractérisé par une succession de montagnes et vallées.
Ravaloharimanitra et al. (2011)
avaient déjà trouvé des groupes de Prolemur
simus dans les deux sites, et ces groupes ont été suivis par des équipes de
patrouilleurs locaux durant un an. Toutefois, certains de ces groupes déjà
suivis ont été perdus quelques semaines avant le commencement de notre étude, et
nous avons donc dû effectuer une nouvelle recherche basée sur le suivi des signes
trouvés, que ce soit des traces de nourrissage ou des fèces. Après avoir détecté
ces signes, nous avons procédé à l’écoute des vocalisations de Prolemur simus et/ou à la détection de
l’odeur de son urine. Chaque fois que nous avons trouvé des individus, les
paramètres suivants ont été notés : date et heure d’observation, point
GPS, nombre d’individus dans le groupe, composition du groupe (nombre d’adultes,
juvéniles et petits), activité du
groupe, plante et parties consommées.
Inventaire des lémuriens sympatriques de Prolemur simus
Des informations sur les espèces de lémuriens qui cohabitent avec Prolemur simus ont été notées. Celles-ci
incluent le nom, le nombre d’individus et la composition du groupe de l’espèce
observée, la date, l’heure et le point GPS du lieu d’observation. De plus,
les cris et traces de passage de certaines espèces ont également été notés
quand ils étaient reconnaissables.
Identification des facteurs menaçant la survie de Prolemur simus
Au cours de nos déplacements en forêt, nous avons enregistré tous les
évènements constituant des menaces pour les lémuriens, et surtout pour Prolemur simus. Pour compléter et/ou
confirmer ces informations, nous avons aussi procédé à des enquêtes auprès de
la population riveraine, particulièrement les personnes passant dans la forêt
et celles qui y habitent. L’enquête constituait en une conversation libre.
Résultats
Nombre de groupes et d’individus de Prolemur simus
Entre septembre 2010 et avril 2011, nous avons recensé un total de 45
individus dans les quatre groupes, dont 35 adultes et juvéniles (qui peut se
déplacer et chercher sa nourriture) et dix petits (encore sur le dos ou la
poitrine de la mère) (Tableau 1 ; Figs. 3-5). Les naissances ont lieu en octobre
et novembre (Randrianarimanana, 2010). En plus, à la fin de l’étude en avril
2011, nous avons trouvé des animaux qui peuvent représentent un troisième
groupe à Sakalava, comprenant trois adultes et un juvénile. Cependant, nous
n’avons pas inclus ce groupe dans le tableau car il est possible qu’il s’agisse
d’un sous-groupe du groupe I, qui n’a pas été détecté à cette période.
Concernant la composition des groupes, nous avons rencontré des difficultés
dans la détermination du sexe des individus observés. La raison en est que les
groupes ne sont pas habitués à la présence humaine, rendant impossible toute
observation prolongée. La différence entre les deux sexes était donc très
difficile à faire dans les groupes suivis.
Tableau 1 : Les groupes recensés pendant l’étude
Groupe
|
Adultes
|
Juvéniles
|
Petits
|
Total
|
|
|
|
|
|
Ranomainty
|
|
|
|
|
Groupe I (S18,360° E48,467°)
|
6
|
3
|
2
|
11
|
Groupe II (S18,365° E48,461°)
|
7
|
3
|
2
|
12
|
Total Ranomainty
|
13
|
6
|
4
|
23
|
|
|
|
|
|
Sakalava
|
|
|
|
|
Groupe I (Saravelona;
S18,716° E48,404°)
|
5
|
2
|
3
|
10
|
Groupe II (Ambodipibasy;
S18,736° E48,403°)
|
6
|
3
|
3
|
12
|
Total Sakalava
|
11
|
5
|
6
|
22
|
|
|
|
|
|
Total Ranomainty &
Sakalava
|
24
|
11
|
10
|
45
|
Durant les observations effectuées de septembre à décembre 2010 (Randrianarimanana
2010), on a constaté que 4 espèces de plantes étaient consommées par Prolemur simus, à savoir Cathariostachys madagascariensis ou
bambou géant, pour 87,4% de nos observations directes, Volotsangana pour 6% (une espèce de bambou dont le nom scientifique
n’est pas encore identifié), Dypsis sp.
pour 4,9% (connu sous l’appellation
locale de Tsirika ou Bedoda), et une espèce non identifiée connue sous le nom local
de Tsingolovolo pour 1,6%. Outre ces
quatre espèces, nous avons également observé quelques traces de nourrissage avec
fèces sur deux autres espèces de plantes non identifiées, localement appelées Bakobako
et Volohoty.
Espèces de lémuriens sympatriques
En ce qui concerne les lémuriens sympatriques de Prolemur simus, nous avons vu directement sept espèces dans chacun
des deux sites : Indri indri,
Propithecus diadema, Eulemur fulvus, Eulemur rubriventer, Avahi laniger,
Varecia variegata et Hapalemur
griseus. En plus, nous avons entendu Lepilemur sp. à Sakalava, et avons trouvé des traces de Daubentonia madagascariensis datant d’un
an à Ranomainty.
Pressions et menaces
Nous avons constaté plusieurs pressions et menaces dans les deux sites, résumées
dans le tableau ci-dessous.
Tableau 2 :
Comparaison des différentes pressions et menaces trouvées sur les deux sites
pendant l’étude (+++ Très important ; ++
Important ; + Existant ; - Inexistant)
Ranomainty
|
Sakalava
| |
Habitation
humaine permanente
|
-
|
+++a
|
Habitation
humaine saisonnière
|
+
|
-
|
Conversion
de la forêt à proximité de l'eau en rizière ou champ d’haricots
|
+++
|
+++
|
Zébus
rencontrés
|
++
|
+++a
|
Passage
de personnesb
|
+++
|
+++
|
Suspicion
de chassec
|
+++
|
-
|
Pièges
à lémuriens
|
+++d
|
+
|
Pièges
pour autres mammifères
|
+++
|
-
|
Pièges
à oiseaux
|
+++
|
-
|
Palmier
coupé
|
-
|
+
|
Coupe
de bois
|
+ ancien
|
++
|
Coupe
de bambous
|
+ ancien
|
-
|
Cueillette
de miel
|
+++
|
+++
|
Pêche
illicite
|
-
|
++
|
Orpaillage
|
+++
|
++
|
Exploitation
artisanale de pierres précieuses
|
+ (traces anciennes)
|
-
|
Feu de
brousse
|
+++
|
-
|
Culture
sur brûlis (tavy)
|
+
|
-
|
a il y a 6 foyers au site de Sakalava, chacun avec des
zébus
b ces personnes ignorent tout de la conduite à
tenir en faveur de la conservation dans la plupart des cas
c les personnes rencontrées emmènent des matériels
de chasse avec eux
d nous avons trouvé 14 pièges à lémuriens à Ranomainty,
et deux à Sakalava
A
Ranomainty, les populations riveraines considèrent la forêt comme un droit
coutumier et y font ce qu’elles veulent. Les zones bordant les rivières ont été
transformées en champs de haricots, après que les arbres et bambous aient été
coupés et brûlés. Des campements d’habitation saisonnière existent dans la
forêt. Des traces de déplacement laissent supposer que beaucoup de monde y
entre. De plus, cette forêt est un lieu de passage des ouvriers travaillant
dans une exploitation de bois à l’est. En ce qui concerne la chasse, plusieurs
types de pièges ont été trouvés dans ce site (tableau 2). D’une manière
générale, l’habitude des populations à pratiquer la chasse est encore très ancrée.
Les personnes que nous avons rencontrées dans la forêt avaient souvent des
matériels de chasse, telles des frondes, et des chiens. On a également remarqué
que les populations environnantes dépendaient beaucoup de l’exploitation des
produits comestibles ou non de la forêt. Ainsi, il y avait des trous pour la
recherche des ignames, et des pieds d’arbres coupés pour la cueillette de miel ou pour en faire des matériels nécessaires au
tamisage de l’or. Concernant l’exploitation de l’or, beaucoup de traces de
sondage ont été relevées, surtout en bordure des cours d’eau, et nous avons
remarqué des carrières récemment exploitées. Des exploitations aurifères sont
en cours à la périphérie de la forêt, mais la couleur jaunâtre de l’eau des
rivières et la présence de gens passant avec des matériaux d’exploitation suggèrent
l’existence de carrières au cœur de la forêt. Enfin, concernant les feux de
brousse et de forêt, une grande superficie a été brûlée autour de la forêt. En
effet, entre les 15 et 17 octobre 2010, une série de feux de brousse a été remarquée
juste à proximité du territoire d’un groupe de Prolemur simus. Ces feux ont même affecté une petite partie de la
forêt. D’après notre enquête, ces feux ont été allumés trois fois de manière
successive, ce qui signifie un rallumage après la maîtrise du premier feu.
A
Sakalava, la population locale pense que les groupes de P. simus se situent dans les limites du transfert de gestion
du COBA Mamelontsoa. Bien que, théoriquement, le COBA soit censé disposer d’un
cahier de charges résumant les obligations, devoirs et droits de ses membres,
des activités illicites sont encore effectuées à l’intérieur de la forêt. En
effet, certaines personnes y habitent en permanence, tandis que d’autres s’y
réfugient en période de soudure, qui dure en général 4 ou 5 mois à partir du
mois de décembre. De ce fait, toutes les activités assurant la satisfaction des
besoins humains s’y poursuivent, la gravité de ces dernières étant résumée dans
le tableau 2. Presque toutes les petites vallées longeant les petits cours
d’eau ont été transformées en rizières, les arbres en bordure ont été coupés
pour en favoriser l’ensoleillement. A cela, s’ajoutent les chasse et cueillette
faites par les habitants temporaires. Les rizières s’étendent continuellement sur
les lieux précédemment déboisés pour leur ensoleillement, risquant ainsi de
faire disparaître toute la forêt avoisinant les rizières (Fig. 6). En plus des
rizières, les zébus envahissent la forêt, en troupeaux comptant plus de 10
individus, tandis que sont mises en place des exploitations minières
artisanales, et des pièges installés pour l’approvisionnement en nourriture.
Discussion
Nos résultats confirment les observations antérieures selon lesquelles Prolemur
simus possède un régime alimentaire
dominé par des bambous de grand diamètre (Tan, 1999; Dolch et al., 2008; Ravaloharimanitra et
al., 2011) – au cours de notre étude, plus de 90% des observations directes
d’alimentation étaient du bambou, et principalement le bambou géant Cathariostachys madagascariensis. Notre
étude du régime alimentaire se poursuivant encore actuellement, nous en présenterons
les résultats détaillés prochainement.
Concernant l’abondance de Prolemur
simus, Ravaloharimanitra et al.
(2011) avaient observé durant leurs brèves études un total de 19 individus dans
les deux sites. Sur les deux mêmes sites, mais au cours d’une étude plus approfondie,
nous avons recensé un total de 45 individus, dont 35 adultes/juvéniles et dix
nouveaux-nés (depuis octobre 2010), répartis en quatre groupes. Pour une espèce
dont le nombre d’individus connus en milieu sauvage est très bas (Wright et al. 2008, 2009), notre étude démontre
que les sites de Ranomainty et Sakalava dans le CAZ abritent une proportion
assez importante de la population totale connue de Prolemur simus, et qu’ils doivent donc être considérés comme sites
prioritaires pour la conservation de l’espèce. En plus, d’autres espèces
menacées de lémuriens vivent en sympatrie avec P. simus dans les deux sites, notamment Varecia variegata.
Toutefois, comme toutes les espèces de forêt, leur survie est menacée par
divers facteurs. En effet, ces deux sites se trouvent à proximité de zones
d’habitation le long de la route nationale 44, entraînant non seulement une pénétration
humaine fréquente, mais également la migration d’une certaine population dans
la forêt. D’après notre enquête, l’intervention humaine est plus importante en
période de soudure, lorsque des familles se réfugient dans la forêt pour compenser
la hausse du prix des denrées alimentaires. Elles y profitent ainsi de l’abondance
des produits forestiers comestibles, comme le miel et l’igname par exemple.
Apparemment, ce type d’exploitation menace la survie de Prolemur simus, car il nécessite la coupe ou le déracinement d’arbres
qui peuvent atteindre 15 m. Abattre un arbre de cette taille peut détruire
d’autres espèces floristiques environnantes, notamment une dizaine de pieds de
bambous.
L’habitation humaine
dans la forêt favorise et accélère la conversion en rizières des terrains le
long des cours d’eau (Plan d’aménagement et de gestion de la Réserve de
Ressources Naturelles Ankeniheny-Zahamena, 2009). Apparemment, de cette expansion
des rizières dans la forêt résulte la coupe de nombreux arbres, et
particulièrement des bambous sous prétexte d’ensoleillement des cultures. Mais
après un an ou deux, la surface précédemment déboisée pour l’ensoleillement est
à son tour transformée en rizières et la coupe de la forêt se répète. Ce cas
est surtout fréquent à Sakalava. Les zones difficiles à irriguer et les vallées
sont exploitées sous forme de culture de céréales, ce qui est le cas à
Ranomainty. Ceci est catastrophique pour Prolemur
simus car c’est dans les vallées et
le long des cours d’eau que les bambous sont les plus denses.
La
forêt dans cette région semble regorger de pierres précieuses et d’or, ce qui
constitue une grande menace pour la biodiversité car, outre l’abattage et le
déracinement des arbres, les exploitants chassent et installent des pièges pour
leur approvisionnement en nourriture. D’autre part, ce type d’exploitation est une
des causes principales de l’expansion du feu dans la forêt. En effet, à la
suite de facteurs favorables, les feux de cuisson laissés par les exploitants
enflamment les zones environnantes. Ainsi, une petite carrière d’exploitation de
l’or a été à l’origine du feu du 15 octobre 2010, responsable de la disparition
d’une petite portion de forêt en lisière du territoire de Prolemur à Ranomainty.
La présence de nombreux pièges à lémuriens, surtout dans le site de
Ranomainty, indique que les populations riveraines pratiquent encore la chasse
aux lémuriens. Même si ces pièges sont en particulier destinés aux lémuriens
frugivores, comme Eulemur fulvus et E. rubriventer, la chasse se généralise
aux autres espèces de lémuriens et animaux. Ceci se remarque à l’habitude de la
population d’emporter des fléchettes, chiens et autres matériels de chasse dans
la forêt.
Recommandations
Cette étude nous a permis d’augmenter les connaissances sur l’espèce Prolemur simus dans le corridor d’Ankeniheny-Zahamena. Cette
zone de forêt figure encore parmi les habitats dans lesquels cette espèce peut
survivre. Pourtant, beaucoup de facteurs menaçant cette survie ont été
identifiés sur le terrain, comme l’exploitation illicite de pierres précieuses,
l’expansion de rizières au cœur de la forêt, les feux de brousse, les habitations
humaines dans la forêt, l’utilisation de la forêt comme terrain de pâturage
pour le bétail. Par conséquent, pour pérenniser cette espèce, nous proposons
ici quelques recommandations.
Parmi les sites sur lesquels travaille
actuellement The Aspinall Foundation, le site de Sakalava (COBA Mamelontsoa) présente la particularité de
bénéficier d’un contrat de transfert de gestion. Toutefois, nous avons constaté
un manque de sensibilisation, information, éducation et communication au sein
du COBA. Même les membres de ce dernier ignorent le contenu du cahier de
charges, qui précise les modalités de gestion. De ce fait, le respect du cahier
de charges laisse à désirer, surtout en ce qui concerne les rizières installées
en pleine forêt. Le suivi du respect de ce cahier s’avère donc être une
priorité pour le projet de conservation de Prolemur
simus dans ce site.
Pour le site de Ranomainty, il
s’avère important de créer un COBA dans le Fokontany de Ranomainty, le village
le plus proche du site abritant Prolemur
simus. La population considère que la forêt lui appartient via le droit
coutumier. Selon elle, ce droit l’autorise à décider du sort de la forêt, ce qui
n’est point en faveur de la conservation de Prolemur
simus, mais plutôt de celle de la production de céréales. De plus, du fait
de son quasi isolement, cette population a toujours l’habitude de chasser et
d’allumer des feux de brousse.
Il est tout aussi recommandé de faire une campagne de sensibilisation et de
conscientisation, d’éducation et de formation sur la protection de la
biodiversité et de l’environnement, et leur gestion respective.
Conclusion
Cette étude a été très enrichissante concernant les connaissances sur Prolemur simus dans les sites de
Sakalava et Ranomainty du Corridor Ankeniheny-Zahamena. Pourtant, beaucoup
reste à faire et d’autres séries d’études et de recherches sont
nécessaires : certains individus n’ont probablement pas été observés et
comptés durant le suivi, et des zones susceptibles d’héberger Prolemur simus non découvertes. Un plus
long suivi écologique est nécessaire pour habituer les individus et augmenter ainsi
les données scientifiques sur leur écologie à différentes saisons.
Néanmoins, malgré les diverses pressions, nous avons recensé un nombre
assez important de Prolemur simus
vivant dans ces sites. Des programmes régionaux de conservation, bien conçus et
impliquant les communautés locales, pourraient assurer la survie des habitats et
des lémuriens de ces deux sites, et contribuer ainsi à la survie de l’espèce Prolemur simus à l’état sauvage.
Remerciements
Nous adressons nos vifs remerciements à toutes les personnes et institutions
publiques ou privées ayant contribué, de loin ou de près, à la réalisation de
ce projet, en particulier le Ministère de l’Environnement et des Forêts,
qui nous a délivré le permis de recherche dans le Corridor Ankeniheny-Zahamena.
Nous tenons également à remercier vivement les représentants des hiérarchies
administratives et traditionnelles locales, en particulier Monsieur le Maire de
la Commune Rurale de Morarano Gare, ainsi que les Présidents des Fokontany
Sakalava, Raboana, Ambohibolakely, Amparihivola et Ambohitranjakana. Enfin, nos
vives reconnaissances s’adressent à tous les patrouilleurs locaux pour leurs
collaboration et compréhension. L’étude a été financée par The Aspinall
Foundation dans le cadre du Projet « Sauver Prolemur simus ».
Références
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Dolch, R., Fiely, J.L., Ndriamiary, J.N., Rafalimandimby, J., Randriamampionona, R., Engberg, S.E., Louis, E.E.Jr. 2008. Confirmation of the greater bamboo lemur, Prolemur simus, north of the Torotorofotsy wetlands, eastern Madagascar. Lemur News 13: 14-17.
Godfrey, L.R., Simons, E.L., Jungers, W.L., DeBlieux, D.D., Chatrath, P.S. 2004. New discovery of subfossil Hapalemur simus, the greater bamboo lemur, in western Madagascar. Lemur News 9: 9-11.
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King, T., Chamberlan, C. 2010. Conserving the critically endangered greater bamboo lemur Prolemur simus. Oryx 44: 167.
Mittermeier, R.A. , Louis Jr., E.E., Richardson, M., Schwitzer, C., Langrand, O., Rylands, A.B., Hawkins, F., Rajaobelina, S., Ratsimbazafy, J., Rasoloarison, R., Roos, C., Kappeler, P.M., Mackinnon, J. 2010. Lemurs of Madagascar, 3rd ed. Conservation International, Washington, D.C.
Randrianarimanana, L. 2010. Identification des sites prioritaires pour la conservation de Prolemur simus dans et autour du corridor Ankeniheny Zahamena : Démographie, écologie et conservation de Prolemur simus à Ranomainty et Sakalava. Rapport non publié. The Aspinall Foundation / GERP, Madagascar.
Ravaloharimanitra, M., Ratolojanahary, T., Rafalimandimby, J., Rajaonson, A., Rakotonirina, L., Rasolofoharivelo, T., Ndriamiary, J.N., Andriambololona, J., Nasoavina, C., Fanomezantsoa, P., Rakotoarisoa, J.C., Youssouf, Ratsimbazafy, J., Dolch, R., King, T. 2011. Gathering local knowledge in Madagascar results in a major increase in the known range and number of sites for critically endangered greater bamboo lemurs (Prolemur simus). International Journal of Primatology 32 (3): 776-792.
TAF 2008. Projet Varibolomavo: Sauver Prolemur simus - Objectifs et actions proposées. The Aspinall Foundation, Port Lympne Wild Animal Park, Kent, GB. 4 pp.
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